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Nos cours d’eau sont des milieux complexes et diversifiés, qui abritent une biodiversité importante. Bien que les eaux douces mondiales (glaciers, nappes phréatiques, grands lacs…) ne représentent que 0,01% de la masse d’eau terrestre, les eaux douces de surface (lacs, fleuves…) renferment un tiers des espèces de vertébrés répertoriées, et la moitié des espèces de poissons.
Pour comprendre leur fonctionnement, à la recherche des gros spécimens de truites par exemple, il est crucial d’intégrer ce qui les anime : les dynamiques de bassin versant. Pour trouver une rivière à grosses truites, il faut chercher un bassin à fort potentiel.
Un bassin versant
Un bassin versant est un ensemble de territoires drainés par un ou plusieurs cours d’eau (et leurs affluents), correspondant à l’évacuation des eaux pluviales, naturelles ou artificielles, de surface ou enterrées. Nos rivières se rattachent à un bassin versant ; la Sarthe, par exemple, fait partie de celui de la Loire (exutoire du bassin).
Dans les rivières, des masses d’eau et de sédiments circulent à des débits variables entre les têtes de bassin et l’exutoire. La nature des sédiments dans votre rivière dépend à la fois de la géologie du cours d’eau (du lit ou des berges), mais aussi de celle de sa source/tête de bassin (en montagne notamment).
Les sédiments lourds (roches, galets) ont besoin de plus de courant pour être transportés, contrairement aux sables par exemple. Par la suite, on verra comment leur nature peut influer sur le peuplement de grosses truites.
Une notion fondamentale : la continuité écologique
Elle définit la libre circulation des masses d’eau et de sédiments, mais aussi des êtres vivants. On connaît les migrateurs, mais beaucoup d’autres espèces dépendent de stratégies de déplacements. On parle d’espèces holobiotiques, comme le brochet ou la truite fario. Conserver un continuum écologique de l’amont vers l’aval est une condition sine qua non de la santé écologique des milieux dulçaquicoles !
De ce fait, la construction d’ouvrages comme les barrages ou les écluses a eu une influence négative sur les dynamiques sédimentaires (envasements en amont et érosion en aval), sur les peuplements piscicoles (blocages des migrations et surprédation des silures par exemple) ou encore sur la stratification des cours d’eau (salinité en Rance, température en lac de montagne amont-aval). En France, sur nos 430 000km de cours d’eau, il y a en moyenne 1 ouvrage tous les 6km (Belletti et al. 2020).
La biodiversité dans les sédiments ?
Chaque rivière présente une succession sédimentaire et une morphologie unique, mais certaines se distinguent par la diversité des habitats présents. En écologie, l’hétérogénéité est souvent facteur de biodiversité. Par exemple, Gayraud et al. 2004 a montré que la porosité des sédiments (générée par des sédiments de tailles et de formes diverses) augmentait la surface des habitats interstitiels (entre les sédiments) pour la microfaune.
Dans ce genre de configuration, on a une grosse abondance de nourriture, ce qui ne limite pas la croissance des poissons. De plus, on aura dans l’empilement grossier de blocs de roche des habitats type fosse ou trou, idéaux pour les grosses truites.
Dans une rivière à débit rapide avec des gros blocs rocheux lisses, ou à débit lent avec des surfaces largement envasées, on a des conditions moins favorables pour les invertébrés (voire pour les truites).
Géologie et hydrochimie : influence sur la productivité des milieux
Peu de littérature établit un lien direct entre la composition minérale des eaux (eaux calcaires vs eaux acides) ou encore leur pH. Le cas particulier des zones calcaires est intéressant : les sources issues des résurgences calcaires produisent des cours d’eau fraîche toute l’année, de bonne qualité, en provenance des nappes. Dans ces milieux, les truites peuvent survivre aux étés, ce qui permet des stratégies biologiques de croissance.
En revanche, l’apport nutritif des milieux terrestres adjacents lors des ruissellements est très bien documenté. Les forêts drainées par la pluie en bordure d’un torrent constituent par exemple une source en matière organique importante. Les zones cultivées également, a fortiori, mais avec des impacts sur la qualité de l’eau parfois extrêmes (eutrophisation). Cela explique probablement le potentiel de production de gros poissons en rivières de plaine, en Normandie ou en Ile de France.
Le lien avec le bassin versant
En tête de bassin versant, les ruisseaux et torrents de petite taille représentent une surface de drainage des sols très importante. Pour cause, ils constituent 70 à 85% du linéaire total du bassin (cela représente une surface de drain très importante). D’ailleurs, Alexander et al. 2007 a montré que près de 60% des nitrates de grands fleuves pouvaient venir des têtes de bassin.
De ce fait, lorsque l’on cherche des grosses truites, même si l’on pêche une rivière dans une zone non forestière, il peut y avoir des apports nutritifs par l’amont très importants.
La température de l’eau et l’oxygène dissous
Beaucoup d’auteurs s’accordent pour dire que la température de l’eau est LE paramètre explicatif en halieutique, en mer comme en eau douce. Que ce soit pour expliquer les changements d’aires de répartition du cabillaud en Atlantique et des bécunes en Méditerranée, ou la productivité au niveau des upwellings du Pérou.
La température influence la dissolution de l’oxygène : dans des eaux froides il y a plus d’oxygène dissous. En clair, dans les rivières de montagne aux régimes pluvio-nivaux (comme l’Isère), l’eau froide issue des glaciers est riche en oxygène. A l’inverse par exemple, en Bretagne dans l’Odet ou ses affluents (Jet), l’eau a une température plus élevée, peut-être moins favorable à la croissance de grosses truites.
Un effet « densité-dépendance » ?
Certaines rivières d’apparence fragilisées, ou dont la qualité de l’eau semble réduite, abritent parfois des poissons énormes. D’autres pêcheurs de truite ont partagé ce constat. Pourquoi y a-t-il des rivières avec de faibles densités de truites, mais de grande taille ?
Il y a peut-être un effet densité dépendance ; lorsque le milieu est en bon état écologique, il y a de forts recrutements de juvéniles (reproduction efficace). En revanche, la compétition entre truites est importante et, pour peu que la nourriture ne soit pas abondante, il y a beaucoup de truites mais de petite taille. A l’inverse, si il y a peu de truites en compétition mais une nourriture abondante, cela laisse le champ libre à la croissance des individus. En définitive, cette relation reproduction-densité-croissance joue probablement un rôle important.
Les souches de truite
On pourrait parler des souches de truites, qui présentent des conditions de croissance très différentes. Les macrostigmas de Corse par exemple, ou les truites bretonnes, atteignent généralement des tailles très modestes. Il semble que la stratégie de reproduction l’emporte sur la croissance. Les truites lacustres ou de souche méditerranéenne atteignent quant à elles des tailles bien supérieures.
En bref : quelles rivières ont un potentiel à grosses truites ?
C’est la question que se pose tout passionné de grosses farios. On l’a dit, les rivières froides et oxygénées sont favorables. Lorsque la continuité écologique sur ces cours d’eau est maintenue (ce qui devient bien rare), des apports en sédiments de toutes tailles créent un habitat varié pour les invertébrés et les truites. Dans la logique de bassin versant, si des eaux nutritives ruissellent de forêts ou de pâturages, on aura alors une abondance et une diversité de proies pour les truites.
En parallèle, il est intéressant de constater que des écosystèmes perturbés par l’agriculture (comme en Normandie ou en Ile-de-France entre autres) peuvent produire de très gros poissons. Dans ces milieux, il y a peu de renouvellement car la capacité des frayères est diminuée, mais la quantité de nourriture permet la croissance des individus. Cela n’est pas forcément signe de bon état écologique, vous l’aurez compris.
Terminer sur une expérience personnelle
La rivière de mon enfance est un cours d’eau exceptionnel, car il n’a en apparence pas grand-chose d’une rivière à truite. Pourtant, la souche locale y produit des poissons de grande qualité. C’est une rivière de plaine, qui prend sa source à peine à 15 kilomètres de mon parcours. L’eau n’est pas spécialement froide, les eaux sont « thé noir bleuté » et certains fonds sont vaseux. En effet, la modification artificielle de l’hydrologie, les marnes argileuses naturelles en place et l’agriculture ont conduit à un envasement parfois important de la rivière.
Cependant, la nourriture est très abondante (champs pâturés), tandis que la proximité de la source (résurgence calcaire) garantie une bonne qualité des eaux et des températures favorables même en été. On aboutit enfin à une rivière sur laquelle la moyenne de capture est de 45 centimètres. Une sorte d’anomalie hydrologique !