Les zones d’estuaire tropicales et subtropicales constituent des zones de nurserie et de nourricerie pour Megalops atlanticus, l’une des deux espèces de tarpon répertoriées. Les adultes donnent naissance aux larves en eaux côtières, qui migrent vers les estuaires (Grace et al, Species-specific development of retinal architecture in elopomorph fishes. 2017). Les juvéniles grandissent dans des zones d’eau turbide, voire stagnante, type mangrove. Les plus gros sujets quant à eux, se tiendront plutôt dans les eaux côtières, au niveau des plages et des embouchures par exemple, voire carrément au large. A maturité sexuelle, les jeunes effectuent des migrations vers les zones de reproduction. Le tarpon est donc une espèce amphihaline catadrome, comme l’anguille.
La maturité sexuelle supposée de ces poissons est de 6-7 ans, ce qui correspond à des individus d’une taille à la fourche d’1 mètre pour environ 10 kilos (Fernandes et al. Population dynamics and movements of Atlantic tarpon in the Parnaíba Delta, Brazil. 2023). La croissance et le renouvellement des populations sont donc lents, ce qui rend les stocks de tarpons particulièrement vulnérables lorsque leur exploitation n’est pas encadrée.
Ci-dessous, un modèle mathématique basé sur l’échantillonnage de poissons vous donne une relation entre la longueur (à la fourche) et la masse du tarpon Atlantique, au Nord du Brésil.
Une espèce particulièrement sensible
C’est un fait, la destruction des habitats et en particulier des complexes estuariens a des conséquences graves sur la biodiversité, auxquelles n’échappent pas les tarpons. Si on ajoute à cela la variable pêche, on peut obtenir rapidement des situations où les stocks de poissons ont du mal à se regénérer naturellement. Dans le Nordeste du Brésil, la pression émise par la pêche artisanale est très importante, et a longtemps été très peu encadrée.
Il est vrai que le tarpon constitue une ressource alimentaire extrêmement importante pour les populations littorales, très pauvres, pratiquant une activité de pêche de subsistance. Pourtant, sa pêche et sa commercialisation sont interdites depuis 2014 au Brésil, une décision qui s’appuie en premier lieu sur l’incapacité de récolter des données fiables et complètes d’évaluation, et sur la sensibilité de l’espèce. Le braconnage est malgré tout important.
Des adaptations évolutives qui en font une exception au règne animal
Des mécanismes évolutifs ont doté l’espèce d’une forte capacité d’adaptation aux milieux, ce qui lui permet de survivre dans des eaux quasi anoxiques (pauvres en oxygène dissous) ou très polluées. Cela explique sa présence en plein cœur de Recife, dans des rios extrêmement pollués comme le rio Capibaribe, où j’ai pêché.
Une innovation bien connue est le système respiratoire du tarpon. En effet, dans des conditions de température élevée, de pH acide et de faible pression partielle en oxygène dissous dans l’eau, la ventilation branchiale diminue au profit d’une ventilation aérienne (Geiger et al. Air Breathing and Gill Ventilation Frequencies in Juvenile Tarpon. 2000). Ainsi, dans des milieux d’eau sale et stagnante, assez pauvres en oxygène, le tarpon privilégie la respiration de l’oxygène atmosphérique. D’un point de vue évolutif, cela donne un avantage au tarpon par rapport à d’autres prédateurs concurrents, qui ne pourraient pas survivre dans ces zones.
En fait, l’organe respiratoire des tarpons est une vessie gazeuse placée au niveau du dos, connectée avec l’intestin et l’œsophage. Des vaisseaux sanguins arrivent et repartent vers le cœur. Les crètes que vous voyez, sont en contact avec l’air de l’œsophage. D’après la littérature, le tarpon est le seul exemple d’animal dont la vessie gazeuse ne disparaît pas à l’âge adulte. On a même observé des grands adultes respirer en pleine mer.
Utiliser ces particularités pour localiser les poissons
On se sert de ce mécanisme biologique unique pour localiser les tarpons, ce qui en fait une pêche véritablement passionnante. En effet, vous verrez les poissons remonter à la surface et éclabousser l’eau avec leur tête pour aspirer de l’air. Si vous trouvez un banc, vous verrez qu’on ne dirait plus des poissons, mais des dauphins !
Etudier les phases lunaires et les marées
Comme la pêche en estuaire du bar, il s’agit de prédire la localisation des poissons sur l’estuaire à partir d’observations scrupuleuses, systématiques, reliées aux données de marée. Après cette première étape, vous serez en mesure de repérer vos premiers poissons en surface lors de leur remontée respiratoire.
Plusieurs pêcheurs constatent en outre qu’au-delà des coefficients de marée, la phase lunaire a une influence sur l’activité des tarpons. On retrouve dans la littérature scientifique des éléments sur le sujet. Renseignez-vous et appuyez-vous sur l’expertise des locaux.
Les poissons se déplacent souvent par banc, et si vous êtes au bon endroit au bon moment, vous pourriez voir d’un coup un déferlement d’activité. Si ça vous arrive, vous aurez la chance d’enchaîner les touches et de vivre des moments de pêche phénoménaux !
Sur la carte ci-dessus, on a représenté de manière très schématique les zones de présence des poissons en fonction des marées. Gardez à l’esprit que ce modèle est imprécis, que l’on pourra trouver des poissons se tenant à marée haute dans la zone rose et inversement. Les spots indiqués tiennent aussi compte de la dimension sécurité pour le pêcheur. Du bord, soyez accompagnés par un brésilien. Je vous conseille vraiment les zones proches des parcs du Nord de la ville, en particulier le Jardim do Baobá, au petit matin (trafic fluvial), en fin de montante ou début de descendante.
Des pêches au lever du jour et au crépuscule
Le tarpon est un prédateur adapté aux faibles luminosités, à l’inverse du bonefish par exemple, qui préfère de forts ensoleillements pour se nourrir. Cela provient entre autres d’une adaptation de la rétine de l’animal, dans la structure de ses photorécepteurs (Grace et al. 2017). Privilégiez donc ces conditions pour le pêcher, ce qui vous permettra aussi d’éviter le tourisme nautique et l’agitation humaine de la journée.
Pour ma part, j’ai vraiment observé une différence d’activité en fonction de la lumière. Sur une semaine de pêche dédiée au tarpon, seuls les coups du matin qui coïncidaient avec la marée étaient prolifiques. Il faut donc prendre en compte ces deux facteurs simultanément pour trouver le poisson.
Régime alimentaire des tarpons
Le tarpon est un prédateur très agressif qui peut aussi être très inactif, en fonction de différents paramètres comme les phases lunaires ou la température de l’eau. En hiver par exemple, la pêche est moins bonne, quand l’eau est froide et sale (ce qui ne m’a pas empêché de faire un carton). C’est aussi un prédateur qui chasse à vue, d’où l’intérêt de le repérer par avance pour lancer au plus près de lui. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de réussite sur le shad, ramené en linéaire, avec cette technique de lancer. Les coloris bien flashy sont très bons pour le matin, et le taux de ferrage élevé.
Quand il est juvénile, son régime alimentaire englobe des poissons, des insectes et des crustacés. Des pêcheurs brésiliens en prennent régulièrement au vif sur les crevettes ou au leurre souple. La pêche à la mouche est extrêmement célèbre à Recife, et de très bons guides de pêche proposent des prestations en bateau, en pêche à la mouche, à vue. On le prend également avec des poppers et des stickbaits, en surface, en animant très lentement, mais pas à toutes les saisons.
