Le Snakehead, ce prédateur ultime de la jungle thaïlandaise !

Cinq heures du matin sur le Srinakarin, la nature se réveille et nous tire de nos rêves de giant snakehead. La théière siffle, les singes hurlent, les paons braillent et le coq chante. Pas de doute, il est l'heure d'aller à la pêche. Récit d'une immersion au fin fond de la jungle thaïlandaise avec pour but ultime la capture d'un snakehead en topwater !
Pêche du snakehead en Thaïlande
  1. Le Snakehead, ce prédateur ultime de la jungle thaïlandaise !
  2. Quel matériel choisir pour la pêche du Giant Snakehead en Thaïlande ?
  3. Pêche Exo : à la découverte des poissons monstres des fishing lakes thaïlandais !

Roissy Charles de Gaulle un 15 janvier. Retrouvailles avec mes amis pour cette expédition en Asie nourrissant nos fantasmes depuis plus d’un an. Nous quittons la grisaille de la capitale pour un vol direct vers la chaleur et la moiteur des rues de Bangkok. C’est Jean-Francois Hellias, célèbre guide de pêche expatrié en Thaïlande depuis trente ans, qui nous accueille en personne. Nous avons concocté avec lui un voyage sur mesure devant nous permettre de pêcher plusieurs biotopes à la recherche de plusieurs espèces de snakehead de la famille des chanidés. Dans cet article il sera question de la pêche sur le barrage du Srinakarin.

Fidèle à l’hospitalité thaïlandaise, il nous invite dans son appartement où son épouse Lek nous a concocté de délicieuses spécialités de son pays. C’est émerveillés que nous pénétrons dans la caverne d’Ali Baba du pêcheur. Les murs sont ornés de photos de poissons trophées et de record du monde IGFA. Une collection de moulinets par ci, une autre de cuillères ondulantes par là ! Chaque recoin est occupé par un objet relatif à la pêche. Ici, le temps s’est arrêté et tout devient propice à une flânerie rêveuse et mélancolique sur ce matériel d’un autre temps. Pièces uniques et travaillées racontant une vraie histoire bien loin des chinoiseries d’Ali express.

Sur la grande table basse du salon, il étale des leurres artisanaux indispensables selon lui à la réussite de notre séjour ; l’avenir confirmera qu’il faut toujours écouter le guide.

C’est donc le ventre plein, chargés de nouveaux joujoux que nous quitterons l’antre de ce monument de la pêche, prêts à en découdre avec ce prédateur dont tout le monde nous vante sa sauvagerie.

En route vers le Srinakarin, une véritable expédition

Il fait encore nuit noire quand nous quittons l’agitation de Bangkok pour regagner le barrage du Srinakarin situé au nord-ouest de la Thaïlande. C’est dans un minibus tout confort que l’aventure démarre. Première étape, acheter les vivres nécessaires pour nous sustenter dans la jungle. Quel délice d’errer dans un marché typique. Flânant d’étal en étal nous allons de surprises en surprises. Des œufs rose vif, des carcasses de viande d’animaux non identifiés, des crapauds, des insectes, des fruits aux mille couleurs et des légumes aux multiples formes. C’est pris de tournis, après des heures de négociations et de dégustations que nous reprendrons la route. 5 heures et la traversée du barrage sur un ferry plus tard, nous sommes enfin au bord de l’eau.

Pan, un membre de la communauté des thaïlandais vivant sur les maisons flottantes nous attend, sur une rustique pirogue équipée d’un moteur de camion faisant tourner une ridicule hélice au bout d’un arbre ressemblant à la perche de Jean Galfione.

Une fois les bagages et les vivres chargés nous embarquons pour deux heures de navigation en plein soleil pour rejoindre notre campement. En chemin nous visiterons sur les berges le magnifique temple en inox de Si Sawat, construit non loin d’un centre d’entrainement de boxe thaï, le sport national. Evidemment, nos vœux de snakehead record résonnaient dans toutes nos prières et offrandes.

Temple en inox de Si Sawat

L’arrivée sur le camp

C’est harassés mais heureux que nous approchons enfin du but. Un petit camp de maisons flottantes sur des bidons de 200 litres reliées les unes aux autres par des cordages. Accueil extraordinaire des villageois nous aidant, l’œil circonspect, à décharger nos tonnes de matériel dernier cri. Quelle absurdité mais quelle authenticité en même temps ! Je suis enchanté à l’idée de savoir que je vais passer les quatre prochains jours dans cette partie reculée sans internet ni téléphone, dormir sur l’eau à la belle étoile. L’immersion est totale. L’occidental que je suis fut vite rattrapé par le confort spartiate. Outre l’absence de douches, le plus dur restera de dormir sur un matelas pas plus épais qu’une feuille de papier à cigarette. Je conseille d’ailleurs aux pêcheurs souffrant du dos de venir avec un hamac ou un matelas gonflable !

Arrivée sur le camp
Dépaysement garanti !

Qu’à cela ne tienne, nous sommes sur le hot spot de la pêche du cobra snakehead, entre amis, avec une excellente cuisinière. Que demander de mieux !

Prise de contact avec les eaux du barrage

C’est l’effervescence au camp de base. Chacun déballe cannes et moulinets et son artillerie de leurres et c’est avec minutie que nous serrons les nœuds et préparons les lignes !

Une fois prêt, n’y tenant plus et voyant qu’il restait une bonne heure de jour, je décide de partir sur la berge pour effectuer mes premiers lancers non loin du camp. Apres avoir frôlé le drame en retirant un tesson de bouteille ayant transpercé ma crocs, je reprends mes esprits et me concentre pour passer entre les ronces, épines et pièges en tout genre. Pas très rassuré en me retrouvant nez à nez avec une vache ayant des airs de zébu, je fais abstraction de mes peurs, l’envie de pêcher étant trop forte.

C’est à la tombée du jour, dans le fond d’une baie, que j’effectue mes premiers lancers. Je fais glisser sur l’eau une grenouille orange précédée d’un propailer créant une belle gerbe d’eau. Dans l’incrédulité la plus totale, un son sourd d’aspiration retentit. La grenouille a laissé place à un énorme remous. Ferrage en règle, je suis pendu à mon premier snakehead. L’émotion me submerge mes jambes tremblent ; seul dans la jungle, du bord, je me sens tout petit. La violence du premier rush est inouïe et ma main droite bloque la bobine du moulinet dont le frein n’est pas assez puissant pour contenir les ardeurs du poisson ! Haletant, je parviens à glisser ce poisson mystérieux sur la berge ; un cri de joie retentit dans la jungle !  Je ne sais même pas comment le prendre ni comment immortaliser l’instant. Qu’importe, le voyage est déjà réussi, maintenant plus qu’une seule chose compte vite en rattraper un autre !

Mon premier snakehead du Srinakarin !

Le soleil disparaît et l’obscurité grandit, il me faut vite rentrer. Par chance, les villageois inquiets par mon absence ont envoyé une pirogue à ma rencontre. Je suis rassuré de rentrer par les eaux loin des singes, des araignées et des serpents. C’est gonflé de fierté que je conte mes aventures aux copains dubitatifs ; s’en suit une soirée mémorable aux saveurs d’épices, de rhum et de citron vert et bien sûr, d’histoires de pêche.

La pêche sur le Srinakarin

Après cette courte nuit bercée par le marsouinage des siluridés, le grand jour est enfin arrivé.

La pirogue et son batelier nous attendent au ponton. Il faudra aiguiser son sens de l’équilibre tant l’embarcation est bancale ; deux appuis du même côté et c’est la baignade assurée. Je ferai équipe avec Antoine Pagnon redoutable pêcheur spécialisé dans la traque des grosses carangues GT.

La stratégie est simple : lancer inlassablement vers la rive au plus près des obstacles avec la redoutable grenouille thaïlandaise faite main par Addy. Quel plaisir au cœur de l’hiver français que de pouvoir s’adonner à la pêche en surface. Cette Frog a le don de passer partout sans jamais s’accrocher. Branches, troncs, feuilles végétation, le cover est omniprésent et les poissons se cachent dessous. Nous prospectons sans relâche les amas de bois flottants et les dédales de forêts immergées.

Les attaques sont nombreuses et violentes mais le taux de conversion est très moyen. Souvent le snakehead sort de l’eau mais rate la grenouille. Le côté visuel de cette pêche la rend très ludique et rythmée. Cela permet de ne pas s’ennuyer même si aucun poisson ne rentre dans la filoche.

Cette première matinée fut sauvée par un cobra de 80 centimètres. Espèce la plus rare en Thaïlande et particulièrement convoitée par les pêcheurs sportifs. Un ocelle sur sa queue le différencie du giant ; il est par ailleurs plus fin et filiforme.

Snakehead Cobra

Les heures où le soleil est au zénith sont improductives pour la pêche, nous avions donc été prévenus qu’une pause entre midi et quinze heures serait de rigueur. Nous rentrons donc nous restaurer d’une délicieuse salade thaï avant une sieste bien méritée.

L’après-midi débute mal avec de nombreuses attaques mais toutes loupées ou décrochées. Nous le savions, il allait falloir avoir la réussite avec nous pour espérer prendre la pose avec un giant.

Et c’est ce qui allait se produire pour Antoine. Après s’être fait violemment aspirer sa Frog, nous comprenons qu’il a affaire à un véritable monstre. Après un premier rush bien maîtrisé nous nous écartons de la berge pour combattre plus sereinement. Je lui suggère de prendre son temps pour ne pas commettre de fautes. Quelle erreur ! Sentant la pression se relâcher le poisson en profite pour se tanker dans un obstacle. La ligne est désormais figée dans 8 mètres de fond mais l’espoir persiste car nous sentons que le poisson est toujours accroché à l’hameçon; N’écoutant que son courage, Antoine se déshabille pour tenter une plongée salvatrice ! Malheureusement, ses capacités pulmonaires ne sont pas les mêmes que Jacques Mayol dans le Grand Bleu. Après plusieurs tentatives, il faut se résoudre à l’évidence, la baignade ne changera rien au sort de la ligne…

Le miracle

C’est après plus de trente minutes de tergiversations qu’Antoine se résout à casser sa ligne et c’est à cet instant précis que le miracle intervient !

Le snakehead était pris dans un filet et la résistance de la tresse était d’une infime supériorité à celle de la corde. Avec tact, il brisa chaque maille du filet sentant sa propre tresse frémir, jusqu’à la libération. Alors, un énorme giant snakehead crève la surface, exténué ! Ce dénouement heureux laissa place à des cris de joie. C’est ça la magie de la pêche ! Comme quoi, il ne faut jamais désespérer et l’abnégation sera souvent récompensée.

Bien que le score de cette première journée, un poisson chacun, ne soit pas flatteur, nous sommes pleinement satisfaits. La rareté d’un cobra combiné a la taille du giant d’Antoine nous comble de bonheur.

Big snakehead pour Antoine !

La pêche sur les boules d’alevins

Il y a trois manières pour prendre un snakehead. La première est de pêcher l’eau en power fishing, la seconde est d’attendre qu’un poisson monte respirer à la surface pour l’attaquer et enfin, celle qui nous intéresse est de chercher les boules d’alevins qui sont protégés par les parents. En effet, les snakeheads vivent en couple et défendent chèrement leur progéniture. Soit en gobant les alevins pour les mettre en sécurité dans leur bouche, soit en attaquant quiconque oserait la traverser.

Le plus dur restant à trouver ces boules d’alevins de couleur rouge. En revanche, une fois une repérées, je vous conseille d’insister car les plus gros spécimens se trouvent souvent dessous. Elle pétille en surface, pour respirer, avant de replonger pendant une minute environ et de ressortir un peu plus loin. Il faut donc être attentif pour ne pas la perdre de vue.

Vous pourrez d’abord tenter votre chance en surface et par la suite descendre dans la couche avec des poissons nageurs, des jerkbaits ou des crankbaits.

Boule d’alevins de snakehead

En route pour la 2ème journée

C’est lors de la seconde journée de pêche que nous prendrons la mesure du caractère addictif de la pêche sur les boules d’alevins.

Pour cela, je ferai équipe avec Patrice Maharibatcha, carpiste émérite ne se montrant pas maladroit non plus dans la pratique du leurre.

Après une belle matinée avec beaucoup d’attaques, nous allions vivre l’apothéose dans l’après-midi. Après avoir peigné toute une baie sans résultat nous vîmes dans son fond une grosse boule rouge feu se déplaçant entre les arbres immergés. La pirogue, discrète, s’en approcha. C’est alors qu’une énorme femelle monta en surface pour prendre sa respiration tandis que nous, inversement, nous coupions la notre, ébahis ! Patrice, à l’avant, déposa sa grenouille un mètre derrière. Lors de la première traction, la femelle jaillit dans une gerbe d’eau pour l’aspirer, tout ça seulement trois mètres devant nous. Combat mené de main de maître, tout en autorité, pour un poisson fabuleux aux reflets bleutés. Photos, release et accolades pour ce grand moment du séjour !

Gros snakehead pour Patrice !

Mais l’après-midi était loin d’être fini et c’est dans le money time, entre 17h et 18h30, que j’allais vivre un ascenseur émotionnel que je ne suis pas prêt d’oublier !

La frustration

La luminosité descendante faisait danser des reflets flamboyants sur le lac. Alors que les eaux s’embrasaient, une nouvelle boule d’alevins creva la surface au ras du bateau. En grand gentleman, ayant déjà fait un poisson d’exception, Patrice me laissa l’honneur. Malheureusement, après avoir tenté la surface à la Frog, puis la couche inférieure au Kten Blue Ocean, aucune réaction malgré les alevins toujours présents et tournants autour du bateau.

Patrice en action de pêche

Dépité, je tente alors ma chance avec mon leurre favori le Zip Baits B-Switcher 4.0 silent coloris vert et jaune. Comme souvent, il fit rapidement la différence. Au troisième lancer, après avoir tapé sur les arbres immergés, il se fit intercepter par un snakehead que nous ne verrons jamais. En effet, dès les premières secondes du rush, déroulant mon frein pourtant serré à bloc, il alla faire le tour d’une branche avant d’ouvrir mon triple Owner ST 56. Je suis abasourdi et dépité, le poisson tant attendu se refusait à moi. Tout penaud je constatais les dégâts, ce pauvre triple témoignant de la force du poisson. Bien fait pour moi, je n’avais qu’à écouter le guide préconisant des ST66. Le silence sur le bateau contraste avec les bruits crépusculaires de la jungle. Le guide et mon ami Patrice n’osent plus me parler tant je suis tendu et frustré. Il ne reste maintenant qu’une faible luminosité et il est l’heure de rentrer.

La délivrance

Par conscience professionnelle, Pan, le batelier, fait glisser la pirogue dans une anse d’environ un mètre de profondeur où nous distinguons parfaitement le fond. Sous nos yeux ébahis nous assistons à un spectacle enchanteur, un couple de snakehead serpente entre leur progéniture. Nous les observons sans bouger distinguant même deux nids identiques à ceux des sandres dans le sable ou les graviers. Une nouvelle fois mon coéquipier me laisse la primeur ! J’en suis touché, nous formons une équipe et non deux pêcheurs faisant la compète pour flatter leur propre ego !

Mais rien n’y fait et ce satané snakehead rate consécutivement deux fois la Frog. Je me dis alors que je suis maudit et que je ferai mieux de rentrer mais Patrice me convainc d’insister. Je ressors alors ce bon vieux B-Swicher maintenant équipé de ST66 pour jouer ma dernière carte. Je le ramène en Bottom Taping quand je vois le mâle se retourner, accélérer pour enfin engamer mon crankbait. Ferrage de forain et c’est pendu ! Le poisson revient vers moi et malgré un ratio élevé de mon moulinet casting je n’arrive pas à suivre ! On le voit nous foncer dessus et passer sous le bateau ! Je perds le contact avec ma ligne et plonge la canne dans l’eau pour éviter la casse. Par miracle, le poisson est toujours là et j’arrive enfin à le brider pour le mettre dans l’épuisette in extremis dans laquelle il se décrochera ! Nous pouvons enfin souffler… Quelle exaltation après tant de déceptions. Patrice est heureux pour moi et soulagé, il va enfin pouvoir repêcher !

Je n’oublierai jamais cette après-midi et c’est avec le sentiment du devoir accompli que nous regagnons le camp le cœur léger en chantant à tue-tête.

Nous n’aurons pas la chance les deux jours suivants de recroiser des boules d’alevins et ce fut fort dommage. Néanmoins, nous mettrons au sec environ 5 snakehead par jour et par personne mais de tailles modestes, entre 1 et 4 kg

Retour à la civilisation

Après trois jours et demi de pêche il est déjà temps de retourner à la civilisation. C’est le cœur lourd que nous plions les cannes et saluons nos hôtes des maisons flottantes. Bien que la surpêche, avec la présence de filets et de palangres, soit omniprésente, le caractère sauvage du barrage et la beauté du poisson en font sans nul doute une aventure halieutique exceptionnelle.

Le bateau s’éloigne de la communauté, le vacarme assourdissant du moteur nous rappelle à la réalité. Mais rien n’est fini car dès le lendemain nous voilà en route pour une partie de pêche à l’arapaima dans un pound (pêcherie dans laquelle sont introduites des espèces exotiques). La suite au prochain épisode.